Jean-Jacques Henner (1829-1905)
L’Alsace et les années de jeunesse
Jean-Jacques Henner est né le 5 mars 1829 à Bernwiller, dans le sud de l’Alsace, de parents cultivateurs. Après l’annexion de l’Alsace par l’Empire allemand en 1871, il opte pour la nationalité française mais conserve des liens forts avec sa région d’origine dans laquelle il retourne chaque année. L'Alsace est très présente dans son œuvre : outre l’emblématique L’Alsace. Elle attend, il a peint de nombreux paysages de sa région natale, y compris sous une forme idéalisée comme dans Le Rêve ou Nymphe endormie.
Ses tableaux de jeunesse, essentiellement des portraits et des scènes de genre comme La Mère de l’artiste priant devant le corps de sa fille Madeleine, sont caractérisés par un réalisme qui demeurera une constante dans son œuvre. Le talent de Henner est d’abord remarqué par Charles Goutzwiller, son professeur de dessin au collège d’Altkirch. Il est ensuite l’élève de Gabriel Guérin à Strasbourg. Grâce à l’aide financière du Conseil général du Haut-Rhin, il poursuit ses études à Paris, à l’École des Beaux-Arts et dans les ateliers de Drolling et de Picot. Henner y reçoit une formation traditionnelle qu’il complète par une fréquentation assidue des musées. Il est surtout influencé par la peinture de la Renaissance italienne, notamment par Titien, Raphaël et Corrège. Il apprécie également Holbein, dont il connait Le Christ mort du musée de Bâle, et les peintres français de la première moitié du XIXe siècle comme Ingres, Prud’hon et Corot.
Le Prix de Rome et le séjour à la Villa Médicis
Après deux échecs, Henner remporte le Grand Prix de Rome de peinture en 1858 avec Adam et Ėve retrouvant le corps d’Abel. Ce succès lui permet de séjourner cinq ans à Rome, à la Villa Médicis, où il côtoie notamment le sculpteur Falguière et le compositeur Bizet, et lui ouvre les portes d’une carrière officielle. Il s’inspire de son nouveau cadre de vie avec, en 1860, Rome, terrasse de la Villa Médicis, son seul paysage italien de grand format. Le peintre visite Rome, Florence, Venise, Naples… Il y admire les œuvres de l’Antiquité et de la Renaissance italienne conservées dans les musées mais découvre aussi un pays qui le charme par la beauté de ses paysages et le pittoresque de sa vie quotidienne. Arrivé à Rome comme peintre d’histoire, il peint de nombreuses scènes de genre et de lumineux petits paysages.
Une carrière officielle
À son retour de Rome, le peintre s’oriente provisoirement vers un naturalisme dont témoignent le Portrait de Joseph Tournois, le fils d’un ami sculpteur (Salon de 1864) et la Femme couchée dite La Femme au divan noir du Salon de 1869 (Mulhouse, musée des Beaux-Arts). Influencé par Manet et Degas, il expose en 1868 La Toilette, qu’il détruira à cause des critiques défavorables.
Henner abandonne progressivement ce style naturaliste et se dirige vers des sujets issus non du monde contemporain mais d’une Antiquité idéale sans référence à une époque précise. Ainsi, les titres de ses tableaux évoquent les poésies bucoliques de la littérature antique comme Idylle (Paris, musée d'Orsay) et Églogue (Paris, Petit Palais), exposés en 1872 et 1879, ou la mythologie comme Byblis (Dijon, musée des Beaux-Arts) ou Naïade (Paris, musée d'Orsay).
Le peintre devient, à partir des années 1870, un artiste à succès et un portraitiste recherché. Il est élu en 1889 à l’Institut et distingué, en 1903, par le plus haut grade dans l’ordre de la légion d’honneur. Il envoie régulièrement aux Salons et aux Expositions universelles des tableaux aux sujets historiques ou religieux, relevant par conséquent du « grand genre » comme Saint Sébastien exposé au Salon de 1888. Il reçoit peu de commandes en dehors de La Vérité pour la Sorbonne mais plusieurs de ses œuvres sont achetées par l’État pour être exposées au musée du Luxembourg, alors consacré aux artistes vivants, ou envoyées dans les grands musées en région. Il est également recherché par des collectionneurs privés comme Alfred Chauchard qui a possédé La Liseuse de Henner mais aussi L’Angélus de Millet, tableaux aujourd'hui conservés au musée d'Orsay.
Un peintre académique ?
En fait, Henner aura une carrière officielle comblée d’honneurs alors que sa peinture ne correspond pas véritablement à l’idéal prôné par l’Académie. Ses tableaux d’histoire sont critiqués pour leur liberté par rapport au traitement traditionnel du sujet, alors que celui-ci est au cœur de la peinture d’histoire, sommet de la hiérarchie des genres. Contrairement à son contemporain Jean-Paul Laurens ou aux Néo-Grecs comme Jean-Léon Gérôme, Henner n’a pas le goût de la reconstitution historique. Il accorde peu d’importance aux éléments susceptibles d’induire une narration comme le décor ou les costumes, alors que la peinture d’histoire devrait, dans un souci didactique, donner à voir des exemples. Sa peinture n’a pas non plus l’aspect lisse et précis ni cette volonté de séduire le spectateur dont témoignent les œuvres de William Bouguereau ou d’Alexandre Cabanel.
Si l’on ne peut véritablement inscrire Henner dans aucun mouvement pictural de la seconde moitié du XIXe siècle, sa démarche qui mêle idéalisation, réalisme et référence à la Renaissance italienne, est cependant proche de celle de ses amis sculpteurs, les Néo-Florentins, Paul Dubois et Alexandre Falguière.
À sa mort en 1905, Henner était un artiste reconnu dont l’œuvre était très largement diffusée par la gravure et la photographie. Des tableaux comme L’Alsace. Elle attend ou Fabiola faisaient figure d’icônes. Cette réussite lui a aussi valu d’être abondamment copié.